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2015/05/09

Devoir de mémoire



À la question de l'IFOP: "Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne en 1945 ?", 54% des sondés de 2015 répondent : "Les Etats-Unis". Or, en mai 1945, ils étaient 57% à répondre l’URSS, les Américains n'étant alors cités que par 20% des Français. 
Dans les faits, sur 10 soldats allemands tués entre 1939 et 1945, 8 le furent sur le front de l'Est.

C'est dans les années 90 que l'opinion en France s'est complètement inversée. Les premières commémorations du Débarquement appuyées par l'Etat ont eu lieu seulement en 1984, organisées par Mitterrand : elles marquent le début d'une rupture dans l’opinion.

Le 9 Mai les habitants des pays de l'ex-URSS rendent un hommage de masse au Régiment Immortel.    

Pour comprendre le sens profond de l'amour de la Patrie et pourquoi de tels sacrifices ont pu être consentis, il faut comprendre l'âme russe.
The meaning of our whole life and existence is love. It is love to the family, to the children, to the motherland. This phenomenon is complicated, it lies at heart of any of our behaviors. (V.V. Putin, 1952 - ; conférence de presse 18/12/2014)
Un tel amour est une communion d'esprits liés par la défense de leur sol. Si les communistes laïcs ont appelé ce mouvement la Grande Guerre Patriotique, cela reste dans son essence une manifestation de l'esprit chrétien. C'est cet esprit qui devait être détruit, qui ne l'a pas été, et qui s'annonce désormais plus grand que jamais.
La guerre idéologique se poursuit. Quand on nous priva de futur, et qu’on éteignit notre passé, et que nous pensions qu’on nous avait brisé, nous conservions notre esprit vainqueur, et chaque année, le 9 mai, nous nous souvenions et demeurions convaincus de ce que nous étions un peuple-vainqueur. Après l’échec des sanctions, nos « partenaires » finirent par comprendre qu’ils ne nous vaincraient pas par la seule voie économique. C’est pourquoi ils s’attaquent avec force à notre ancrage spirituel. (N.V. Starikov, interview 16/04/2015; traduction: Comité Valmy)
À titre de comparaison historique, les bilans des plus grandes catastrophes répertoriées de l'histoire humaine jusqu'en 1945 sont glaciaux mais éloquents :
  • 99% des Mayas du Peten (estimés entre 3 et 14 millions) ont disparu après l’an 800, suite à une profonde crise écologique et aux catastrophes en conséquence;
  • la peste noire en 1347 a tué entre 30% et 50 % de la population européenne en cinq ans, faisant environ 25 millions de victimes ; 
  • la famine irlandaise de la pomme de terre entre 1845 et 1851 fit un million de morts, et plusieurs millions de réfugiés et émigrants. En tout, la population irlandaise baissa de près de 25% en dix ans ; 
  • le génocide des philippins par les Etats-Unis entre 1895 et 1900 a coûté la vie à environ 1,4 million de personnes, soit 15% de la population de l'époque ;
  • le génocide perpétré d'avril 1915 à juillet 1916 a coûté la vie à environ 1,2 million de chrétiens Arméniens, soit 66% de leur population de l'époque en Anatolie et Arménie Occidentale ;
  • les grands troubles sociaux en URSS lors des années 1930 firent environ 15 millions de morts, soit entre 8 et 9% de la population de l’époque en URSS ; notons cependant à propos des famines une origine occidentale (via un blocus de l'or, inédit dans l'histoire commerciale humaine).
  • les pertes civiles et militaires de la Chine entre 1937 et 1945 lors de la seconde guerre sino-japonaise se sont élevées à 20 millions de morts environ, soit 5% de la population de l’époque en Chine ;
  • les pertes civiles et militaires de l'Allemagne entre 1939 et 1945 se sont élevées à 8 millions de morts environ, soit 10% de la population de l’époque en Allemagne ;
  • les pertes civiles et militaires de la Pologne entre 1939 et 1945 lors de la guerre contre l'Allemagne Nazie se sont élevées à 5,7 millions de morts, soit 16,5% de la population de l’époque en Pologne ;
  • les pertes civiles et militaires de l'URSS entre 1941 et 1945 lors de la guerre contre l'Allemagne Nazie se sont élevées à 27 millions de morts environ, soit 16% de la population de l’époque en URSS ;
Je me souviens.

2014/08/31

La guerre d'Ukraine et l'esprit des peuples

[This article is also available in english].

Il est encore difficile aujourd'hui d'évoquer l’absence de liberté des grands médias occidentaux sans être taxé d'extravagance, de se voir convaincre d'être le neveu de Poutine.

Pourtant cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre dans laquelle ceux qui dirigent l’OTAN veulent précipiter l’Europe.

Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, Chomsky[1], Bourdieu[2], Orwell[3], de Sélys et Collon[3b], Scott[4] ou Joly[5], et d'autres encore, ont d'ailleurs précédé tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore. En particulier, le principe de la fabrication du consentement une fois imposé, le fait qu'à cet égard les sentiments des foules dépendent de l’influence délétère de bien peu, poussant à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.

Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en Occident n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un citoyen peut rester libre. Le problème n'intéresse plus les gouvernements. Il concerne la société civile et d’abord l'individu.

Et justement ce qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, à l’orée ou au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination. 

La lucidité est le moteur de notre propre liberté

La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un citoyen libre, en 2014, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. S’il est auteur, quel que soit le média, il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.

Abandonner sa souveraineté, ou bien ne pas renoncer

Mais le citoyen peut aussi être un représentant de l’Etat. Les gouvernements américains et anglais ont tenté il y a 10 ans de décrédibiliser l’idéal des Nations Unies, de déshonorer tous les gardiens de notre conscience collective par le mensonge, la tromperie et l’injustice[6] en les entraînant dans la guerre en Irak, pour en être empêché in-extremis par la volonté et la voix courageuse d’un Ministre de la France[7]. Ces mêmes gouvernements tentent aujourd’hui de tirer à nouveau les ficelles pour nous précipiter dans la guerre en Ukraine, bientôt contre la Russie, en employant sans vergogne les mêmes méthodes infâmes[8]. Ils veulent cependant utiliser l’OTAN pour court-circuiter le Conseil de Sécurité de l’ONU, ayant appris de leur échec de 2003. Le sommet de l’OTAN au pays de Galles les 4 et 5 Septembre réunissant les 28 Etats membres de l’alliance n’a pas d’autre vocation que de remplacer dans l'opinion publique une résolution du Conseil de Sécurité sur l’intervention prochaine en Ukraine, qui sera précédée par des arrivées de troupes américaines dans les bases de l’Est de l’UE[9], mais aussi en Italie, en Hollande ou en Allemagne. C’est bien une réoccupation de l’Europe par l’armée américaine, les Etats européens n’ayant en réalité quittés leur statut de colonie lors des 70 années écoulées que lors de brèves parenthèses comme celle du Gaullisme. Le TTIP et les amendes récentes sur les banques européennes ne sont à cet égard que des moyens de rétablir l’imposition directe des européens, après l’imposition indirecte qui se manifeste au travers des achats de bons du Trésor américain par tous les Etats.

Quel homme trouvera le courage de marcher dans les pas de Dominique de Villepin lors du prochain sommet, et refusera par sa voix que son pays suive le chemin fatal où les Etats-Unis et la Grande-Bretagne veulent mener l’alliance ? Qui, ne cédant pas à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, se rappellera les mots de Démocrite : le caractère d’un homme fait son destin ? Au sein de ce sommet, la lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les leurs doivent les conduire à donner la priorité au désarmement des adversaires en Ukraine, dans une paix qui ne serait pas un langage orwellien, en collaboration avec l’Union Eurasiatique.

Servir le mensonge, ou bien la liberté

En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre et un citoyen doit donner toute son attention. Car, même s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge.

C’est ce que nous attendons de tous les commentateurs à l’issue du prochain sommet de l’OTAN.

Chérir la vérité avec obstination

Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Kerry, Netanyahou, Fabius, Ashton, Iatseniouk, pour ne prendre que des exemples parmi d'autres, utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 2014, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix dans les grandes rédactions. La même vérité dite plaisamment ne l'est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Canard Enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 2014, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants.

Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, l’ostracisme, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance.

Les esprits indépendants forment l'histoire

Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque citoyen des pays occidentaux voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait déjà gagnée, au sens profond du mot.

Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer aujourd’hui la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode qui serait la justice et la transparence, sous l’égide des Nations Unies puisque l’OTAN ne peut agir à sa place, pour conduire aux inspections, et au désarmement dans la paix. Mais la justice ne s'exprime que dans des cœurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.

Même si finalement malgré tous nos efforts une nouvelle guerre a lieu, l’Europe étant une nouvelle fois détruite dans les années les plus terribles de sa longue histoire, il faut œuvrer dès aujourd’hui à sa future reconstruction. Cela commencera par insuffler l’esprit et le courage, et l’honneur. Les générations prochaines se souviendront alors de nos voix, retrouveront notre esprit et marcheront dans nos pas, bien après que l’OTAN aura été engloutie par l’histoire. Les peuples qui cultiveront ces valeurs ne cesseront pas de se tenir debout face à l'histoire et devant l’humanité.

Dr. Bruno Paul, d'après le manifeste d'Albert Camus.




[1] ‘La fabrication du consentement: de la propagande médiatique en démocratie’, Edward Herman et Noam Chomsky, 1988
[2] ‘Sur la télévision’, Pierre Bourdieu, 1996
[3] '1984', E.A. Blair, dit George Orwell, 1949
[3b] 'Attention Médias ! Mediamensonges du Golfe. Manuel antimanipulation', Michel Collon, 1992
[4] La politique profonde et l’Etat profond’, Conscience-Sociale.org, 03/2014
[6] a) « Discours de Colin Powell devant le Conseil de Sécurité de l'ONU », 05 février 2003 ; b) Dès 2004, les inspections américaines menées pendant la guerre s'accordent pour dire que l'Irak avait abandonné son programme nucléaire, chimique et biologique après 1991 (Iraq Survey Group Final Report, GlobalSecurity.org, 2004) ; c) « Colin Powell : comment la CIA m'a trompé », Nouvel Observateur, 03/2013
[8]Russia Invades Ukraine”, Strategic NATO Public Relations Stunt. Where are the Russian Tanks?, Global Research, 08/2014
[9] publié quelques heures après la parution de notre article: 'Europe de l'Est: l'Otan veut déployer cinq nouvelles bases', RiaNovosti, 31/08/2014

2014/01/05

Le point d'arrêt de la pensée unique de l'Occident


Quel est le point commun fondamental entre les prises de position sur les événements actuels aux USA de Noam Chomsky qui se revendique comme anarcho-syndicaliste, de la direction du Monde Diplomatique et des grands médias occidentaux en général (des représentants de tout le spectre politique politiquement correct) et de tous ceux qui se déclarent en faveur de l'appareil sécuritaire d'oppression américain que l'on peut aisément qualifier comme étant typique d'une idéologie extrême (-droite en l’occurrence)?

Je pense qu'il s'agit d'une attitude sociale qui se développe vis-à-vis de l'indépendance de la pensée, ou de la liberté de l'esprit. Ces dernières trouvent leur opposé sous le terme de pensée unique c'est à dire d'une subordination de la pensée, d'un lien de soumission intellectuelle à une obédience quelconque, d'une oblitération de la capacité d'esprit critique, qui est bien imagée par l'expression: accepter de ne voir qu'avec les œillères que l'on se donne.

Cette altération de la psychologie de l'individu plongé dans un corps social traverse toutes les limites des idéologies politiques, et tend à uniformiser les comportements ou les réponses des acteurs. Dans les pays développés, les électeurs ont intuitivement conscience de ce problème de la représentativité politique dans nos démocraties. Le moment est venu de la réformer, nous indique The Economist.

Toutes les idéologies politiques actuelles se sont construites et développées contre le marxisme: soit en s'appuyant contre lui, soit en opposition étroite face à lui. Nécessairement, elles sont donc profondément imprégnées de la structuration de la réalité sociale marxiste qui les a façonnées, y compris et surtout pour ses plus farouches opposants (le fascisme). La disparition de l'URSS n'a strictement rien changé de ce point de vue. Il est donc justifié de parler d'un terreau de pensée unique, commun à toutes.

Pour illustrer ceci, relisons ce que Berdiaeff, ce grand penseur russe qui a observé le développement du marxisme, du bolchevisme et du fascisme, a écrit au siècle dernier [1]. Il nous apprend que pour ces gens, la vérité et la justice sont déterminées par leur attitude à l'égard de la réalité sociale, et que c'est en cela que réside leur erreur commune.
[Nous étendons ci-dessous les propos de Berdiaeff qui concernaient les attitudes des marxistes et fascistes de son époque à l'ensemble des occurrences de la pensée unique, telles celles que j'ai cité au début. Choisissez la déclinaison qui vous parle le plus.]
"C'est devant ce problème que se trouvent les intellectuels de nos jours qui reconnaissent la vérité sociale de [la pensée unique]. On dénie à [un individu] le droit de dire ce qu'il croit être la vérité sur [la pensée unique], sous prétexte que la vérité ne peut se révéler à l'homme individuel, [...], la vérité étant le produit de la lutte révolutionnaire [de la pensée unique] et devant contribuer à la victoire de celle-ci.
La vérité, alors même qu'elle se rapporte aux faits les plus incontestables, devient un mensonge, si elle peut nuire à la victoire de [la pensée unique], tandis que le mensonge peut devenir un moment dialectique nécessaire de la lutte [de la pensée unique]
[...]
L'attitude à l'égard de la vérité a considérablement changé dans le monde contemporain. Marxistes et fascistes prétendent, les uns et les autres, que la vérité est un produit de collectivités et qu'elle ne se manifeste et ne se révèle qu'au cours de lutte collectives; que l'individu ne saurait connaître par lui-même la vérité et l'affirmer à l'encontre de la collectivité. J'ai assisté à la formation de cette manière de voir pendant les années de ma jeunesse..." 
Contre cette erreur primordiale dénoncée par Berdiaeff, il s'agit donc de défendre la vérité désintéressée, l'indépendance de l'intellect et le droit de jugement personnel qui sont les conditions nécessaires pour établir une vérité et une justice qui ne soient pas dévoyées. C'est le point d'arrêt de la pensée unique de l'Occident, celui qui marque le retour du balancier dans l'autre sens. Et nous constatons que c'est encore une fois en Russie que le fer de lance de cette philosophie, qui peut séduire des partisans de tous les partis politiques traditionnels, se dessine de nos jours.

[1] Nicolas Berdiaeff, De l'esclavage et de la liberté de l'homme, 1946