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2013/01/25

Pour les découvreurs

 Il est impossible à la conscience humaine de réaliser brusquement un grand bond par un acte de volonté autonome. Comme je l’écrivais en 2008, « Une prise de conscience, c'est comme un changement d'orbite : ça requiert du temps, une impulsion initiale, de l'énergie entretenue, et l'état d'arrivée est sensiblement différent de l'initial. » Ce qui nécessite du temps pour un individu en nécessite d’autant plus pour une collectivité, c’est-à-dire pour la conscience sociale. Ce n’est pas un accroissement linéaire, puisque ce qui est important c’est d’atteindre une masse critique, et non pas une majorité, avant de faire basculer la partie restante. 

Cette masse critique ne peut être atteinte que par une diffusion jusqu’aux récipiendaires, qui doivent être en état d’écoute. Cette diffusion est saturée depuis l’avènement des medias de masse. Internet ne change rien à la donne en ce qui concerne cette première étape, celle de l’atteinte d’une masse critique. Ainsi ce blog se veut aussi une expérience sociologique à notre époque moderne, au service d’une question simple : comment les idées nouvelles se propagent-elles ? Depuis 2008, nous avons ainsi utilisé, en tant qu’auteur de contenus originaux ciblant en priorité les premiers cercles de diffusion de nouvelles idées, les moyens de diffusion suivants : blogs sous licence CC, syndication, wikipedia, réseaux sociaux (au moins 5), mais aussi publications par un think-tank, réunions publiques, conférences, conseil en entreprise, contact au CESE, le tout dans plusieurs langues et dans des domaines volontairement croisés dans une approche transdisciplinaire : économie, science politique, sciences fondamentales, finance, écologie, sociologie, technologie de l’information, relations internationales et géopolitique. Nous avons pris soin d’articuler toutes nos recherches dans un cadre conceptuel philosophique robuste (1), même si il ne forme pas nécessairement système et si les références directes de ces repères dans nos textes sont volontairement peu fréquentes. Sans développer une histoire des idées ou une épistémologie, nous avons enfin étudié les publications d’idées émises par quelques autres auteurs en Occident, vivants ou disparus, et les échos qui en résultaient. 

En synthèse, les principaux éléments que nous avons observés ou déduits, et d’autres auteurs bien avant nous, sont les suivants. Je les livre sans fard pour les découvreurs. 

Sur les idées : 

· L’approche des concepts s’élabore avec le groupe social. Les concepts non complètement formés constituent un terreau. Le terreau n’est pas la graine. Il est constitué d’éléments verbaux dérivant des idées existantes et de comportements. C’est une somme d’expériences, du sensible jusqu’à l’apprentissage de concepts virtuels. Le jeu est un exemple d’organisation sociale pour accumuler efficacement cette expérience. 

· Les idées se créent, se conçoivent ensuite sans le groupe. C’est un acte individuel de volonté, à l’avancée vacillante. Une idée est un concept formé. Une graine autour d'un germe. 

· Le terreau le plus fertile au monde n’engendre pas de graine, sans une volonté spécifique. Ainsi en va-t-il de la meilleure éducation qui soit possible. C’est cela qui rend irréelle toute justification d’une inégalité héréditaire ou héritée. Une position hiérarchique donnée n'est absolument pas équivalente à une valeur individuelle intrinsèque, bien que l'existence même de cette hiérarchie puisse souvent laisser penser le contraire à chacun de ses membres. Une hiérarchie est uniquement une construction sociale, jamais une mesure absolue de la valeur personnelle. Mais elle est très rarement comprise comme telle. La sociobiologie offre un bon exemple de ce débat. On lire avec intérêt L'empire des gènes: histoire de la sociobiologie.

· Une idée nouvellement née pour se diffuser dans la conscience sociale doit être totalement délivrée de son créateur. Tout lien d’appartenance au créateur est un frein pour l’envol d’une idée ; c’est d’ailleurs le plus souvent l’indice d’un simulacre. Une idée vibrante est une idée autonome. 

· Une mauvaise idée ne remplace pas et n’efface pas une bonne idée. Il n’y a pas de mauvaises idées, ce ne sont que des simulacres d’idées. 

Sur les sociétés : 

· Bien que de la description sociologique la plus exacte soit celle du "champ social", celle-ci peut se révéler moins efficace quand il s'agit d'expliquer la propagation des idées et concepts. Dans ce contexte, nous préférons dire que les sociétés humaines sont structurées hiérarchiquement, mais plusieurs hiérarchies cohabitent et se superposent, formant à ces endroits des réseaux maillés. La complexité d’une société croît avec le nombre de ces structures, mais une société n’est pas équivalente à un réseau dont les nœuds seraient idempotents. 

· Les hiérarchies relèvent d’un lien social de subordination conscient ou non, qui peut se décliner selon une échelle de prestige. L’organisation politique des sociétés, y compris l’expression par la voie démocratique, n’efface en rien ces hiérarchies, mais elle peut favoriser ou restreindre l’émergence des idées. 

· Le prestige se gagne sous des formes combinées très diverses. Il constitue l’état visible le plus enraciné d’une société. Nous pouvons citer le prestige de naissance (lignée, caste), de grade, de diplôme ou de position (fonction privée, publique ou militaire), de simple représentation (célébrité, spectacle mais aussi à un moindre niveau tout attribut ostentatoire), de mérite (reconnaissance du courage, d’un exploit ou d’une création). 

· Le prestige se perd peu avec le temps, et ne disparaît pas avec la mort, car le prestige est une empreinte dans la conscience sociale. 

· Une hiérarchie est un organe social de sélection et d’amplification des idées. Sans un contrôle continu par le reste de la société, elle acquiert une volonté propre et cherche inévitablement en priorité à perdurer et relègue au second plan sa raison d’être originelle. Sa fonction est alors détournée par cette nouvelle volonté. Elle devient institution et outil d’entretien du statu quo. 

· Les sommets des hiérarchies sont incapables de créer des idées, ou deviennent sinon des leaders qui marquent l’histoire. Elles ne peuvent habituellement que piloter ou favoriser les idées qui émergent. Leur seul pouvoir est de ralentir (ou d’accélérer) la diffusion d’une idée, mais celle-ci une fois créée survit plus longtemps que toute volonté hiérarchique. Anéantir son créateur n’est qu’un retard de plus, pas un réel contrôle. 

· Toutes les hiérarchies n’ont pas pignon sur rue, leur degré de transparence peut aller jusqu’à l’opacité la plus totale sans pour autant modifier leur pouvoir de pilotage des idées. C’est une lutte permanente entre volonté individuelle du secret et volonté collective de transparence. 

Sur la diffusion des idées : 

· Il est impossible à une société d’empêcher la création d’idées contraires aux buts de ses hiérarchies dominantes du moment. Même le génocide ne le peut pas. 

· Si une hiérarchie utilise la violence comme instrument de contrôle, elle rend immédiatement plus perméable les autres hiérarchies de la société. Celles-ci seront plus facilement imprégnées par de nouvelles idées, qui se diffuseront plus vite, ainsi qu’aux concepts non formés. C’est l’effet d’accélération que l’on connait aux crises. 

· La diffusion à une large échelle de concepts non formés a un corollaire : une société ne résiste pas à une idée dont le moment est venu, c’est-à-dire une fois que le terreau a été répandu. 

· Une diffusion horizontale à large échelle n’est pas du tout équivalente à une diffusion hiérarchique. Les idées se diffusent à large échelle (c’est-à-dire imprègnent de nouveaux individus) par la voie hiérarchique descendante exclusivement. Par contre, les concepts non formés se diffusent horizontalement à large échelle par les sensations et l’exemple. 

· Seules les idées, et non les armes, ont le pouvoir de faire évoluer les orientations des hiérarchies, et par là-même des masses ; le monde ne change que par elles. Changer le monde n’implique pas nécessairement de changer de hiérarchie. On détourne plus facilement un fleuve qu’on ne creuse une nouvelle vallée. 

· Il est d’autant plus facile pour une idée issue du bas d’une hiérarchie d’imprégner le sommet d’une autre hiérarchie que celle-ci est distante (en terme de km, de langue, de métier, de temps…).



Un exemple de concept non complètement formé, malgré son soucis apparent de formalisme :


A concept map showing the key features of concept maps


2012/10/31

Courage et Honneur


 Le 30 Octobre 2012, Franck Biancheri est décédé. Son oeuvre est plus que jamais vivante.

Vous ne pouvez comprendre l'Europe d'aujourd'hui et le monde de demain si vous ignorez ce qu'il a apporté.
Nous tous lui devons beaucoup.
Plus que sa mémoire et sa lucidité, cet homme politique d'action et de courage, pétri de démocratie, nous a légué des idées et concepts qui ont marqué et marqueront notre Histoire. Il est un repère de notre conscience sociale.

2012/10/11

Le lectorat de Conscience Sociale

Il est toujours intéressant de mieux connaitre son lectorat. Pas ses lecteurs bien sûr : les statistiques fournies par Google sont complètement anonymes, sans IP, gage de la protection de la vie privée. 

J'ai simplement recherché dans les statistiques disponibles entre 2008 et 2012 (5 ans) les libellés des routeurs qui précisent explicitement un nom connu d'institutions ou de sociétés. Les visiteurs de ce blog à partir de leur domicile ne sont donc pas concernés, ni les routeurs au nom banalisé.
Un rapide bilan, sans exhaustivité, indique ainsi que Conscience Sociale a été visité par :
  • 175 universités différentes ou établissements de recherche dans le monde, spécialisées en sciences exactes ou sociales. Vous retrouverez des établissements très connus dans cette liste, mais je suis fier de chacun d'entre eux ;
  • 53 banques, banques centrales ou établissements financiers dans le monde. On retrouve là aussi les noms les plus connus ;  
  • 36 ministères, institutions gouvernementales ou supra gouvernementales : Parlement Européen, Commission EU, Conseil de l'Union Européenne, OCDE, cour des comptes, Cour Européenne de Justice, Nations Unies, mais aussi US Navy, US Army, le CEA, le World Economic Forum... et sans compter dans ce chiffre les nombreuses institutions de gouvernement à l'échelle locale, départementale, régionale, county, US State, en France, US, UK, Canada. J'en suis particulièrement heureux !
  • 40 sociétés mondialement connues dans les secteurs industriels ou du commerce, dont 7 très liées aux équipements militaires 
  • 13 sociétés mondialement connues dans le secteur IT (cf l'approche éditoriale de ce blog début 2008)
  • 8 sociétés spécialisées dans les médias ou Think-Tanks (Times, NY Times, TF1, Canal Plus, Radio France, Peterson Institute, sans compter le LEAP/E2020 bien sûr...)
Une aussi large répartition n'est pas courante ! Mais je pense qu'elle est le miroir fidèle de l'éclectisme et de la rigueur éditoriale de Conscience Sociale qui forme le socle de son approche transdisciplinaire, et le signe tangible d'une certaine diffusion de ses idées. 

Je remercie donc sincèremet mes lecteurs pour leur intérêt et leur fidélité. Cela me donne quelques nouvelles idées mais je n'en dis pas plus... :)



2012/04/29

S'immerger dans la campagne présidentielle 2012

 J'ai reçu depuis 15 jours deux demandes en privé qui m'interrogeaient sur le peu d'activité de ce blog face à l'actualité de la campagne, et l'importance de ce moment. La deuxième occurence justifie une réponse publique.
La raison est très simple : l'accélération du temps politique imposait d'utiliser un autre outil de communication. Nous avons voulu bien évidemment inscrire le plus possible nos messages dans cette élection qui est la clé pour la France et l'Europe mais aussi le Monde pour les 10 ans à venir. Nous avons donc choisi de communiquer beaucoup plus fréquemment par l'intermédiaire du micro-blogging Twitter, qui permet d'être pleinement réactif sur les phrases et messages clés, et pointer les articles les plus importants, pour souligner ce qui porte du sens dans l'écume des communiqués. Pendant cette course électorale, Twitter permet aussi de prendre le poul de notre intérêt collectif. 
Certains points nécessitaient d'être expliqués plus longuement, et c'est pourquoi j'ai rédigé quelques billets sur ce blog en complément. Cela ne signifie en rien que nous abandonnons ce blog pour passer exclusivement sur Twitter, vous l'avez compris. Nous utilisons tous les réseaux sociaux en profonde synergie avec ce blog.
Voilà pour la doctrine d'usage.
Je pensais que tous les lecteurs de ce blog suivaient déjà régulièrement Conscience Sociale sur Twitter et Facebook, et mais visiblement un rappel n'était pas inutile. 

2012/04/03

Le devoir du citoyen

 Ce devoir, c'est celui de s'informer, et d'informer. Plus exactement, dans nos sociétés au consentement fabriqué, c'est celui de bien s'informer, et de bien informer. Le citoyen ne doit pas rester un simple réceptacle, ou une courroie mécanique de transmission, il doit exacerber son rôle de relai actif de l'information. Chaque parole politique est aussi un acte de journalisme. 

En voici une illustration ce matin : Le Monde publie un article de Jean-Marc Ferry : "Les candidats face au défi européen".
Sachant l'importance absolument cruciale de ce thème pour la sortie de la crise systémique mondiale, il a attiré toute mon attention. 
Je dois dire que j'ai été immédiatement déçu par la couverture imparfaite du programme européen de François Hollande. Comme il n'est pas possible de commenter sur le site du Monde sans être abonné, j'ai donc immédiatement contacté l'auteur en personne. Le relai actif que j'ai mentionné.
Il m'a répondu aussitôt, et c'est avec son autorisation que je publie ici mon commentaire et sa réponse. Je l'en remercie sincèrement pour cette démonstration de transparence du débat entre citoyens, dans cette campagne aux enjeux historiques.

Monsieur Ferry,

vous écrivez dans votre article du 02/04 : "Sur le fond, il n'y a pas de vision institutionnelle novatrice concernant l'UE. [dans le programme de F. Hollande]"

Je tiens pourtant à porter à votre connaissance le discours suivant de F. Hollande sur l'Europe :

"L’Europe doit être aussi mieux gouvernée. C’est le rôle du Conseil européen, des chefs d’Etat et de gouvernement. C’est le rôle, aussi, des institutions communautaires – que je respecte. L’Europe a avancé quand elle a été capable d’avoir des chefs d’Etat et de gouvernement qui avaient une vision, mais aussi des institutions communautaires qui prenaient l’initiative, qui anticipaient, qui traduisaient, qui engageaient. Et un Parlement européen qui faisait entendre sa voix. Et c’est pourquoi nous devons aller vers une responsabilité encore plus grande de la Commission européenne devant le Parlement européen, et du président de la Commission européenne devant le Parlement européen."

Pensez-vous vraiment qu'il ne s'agit pas là d'une vision institutionnelle très novatrice concernant l'UE ? Et sans équivalent dans les discours des autres candidats ? Et à même de permettre enfin le contrôle de l'Europe par les citoyens au travers de représentants directement élus ?

Je suis disposé à en débattre avec vous, afin que vous puissiez publier un correctif de votre article, au moins pour rétablir cette vérité sur le programme de F. Hollande.

Cordiales salutations,

--Bruno Paul 
Transparence.me - Conscience Sociale - Democratie Agile - Twitter - Facebook - LinkedIn - Viadeo - G+
Et sa réponse :
Cher Bruno Paul,

Je vous remercie pour cette mise au point. Je me suis en effet indexé sur le programme (en ligne) du Parti Socialiste, et je reconnais ne pas avoir intégré ce discours de François Hollande, dont je partage le schéma en ce qui concerne le retour à la méthode communautaire, moyennant une légitimité renforcée du Président de la Commission (voire de l'Union en général), ce qui implique sans doute une réforme profonde de son mode
d'investiture.

Le Monde tenait à ce que j'évoque les programmes. J'ai donc dû en insérer dans mon article un (trop) rapide aperçu. Cependant mon souci principal était plutôt de faire passer l'idée relative à la sortie de crise.

Bien cordialement, JMF

Prof. Jean-Marc Ferry
http://users.skynet.be/sky95042

Chaire de Philosophie de l'Europe
Université de Nantes
jean-marc.ferry@univ-nantes.fr

Université libre de Bruxelles
jferry@ulb.ac.be

Dont acte.

2012/03/18

Le Manifeste de l'Homme Indépendant, par Albert Camus

"Il est difficile aujourd'hui d'évoquer la liberté de la presse sans être taxé d'extravagance,
accusé d'être Mata-Hari, de se voir convaincre d'être le neveu de Staline.
Pourtant cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre.
Certes, toute liberté a ses limites. Encore faut-il qu'elles soient librement reconnues. Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, nous avons d'ailleurs dit tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore, et à satiété, tout ce qu'il nous sera possible de dire. En particulier, nous ne nous étonnerons jamais assez, le principe de la censure une fois imposé, que la reproduction des textes publiés en France et visés par les censeurs métropolitains soit interdite au Soir républicain (1), par exemple. Le fait qu'à cet égard un journal dépend de l'humeur ou de la compétence d'un homme démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.

Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en France n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un journaliste peut rester libre. Le problème n'intéresse plus la collectivité. Il concerne l'individu. 

Et justement ce qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination.  
La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un journaliste libre, en 1939, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. Il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.  
En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre doit donner toute son attention. Car, s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge. 
Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Hitler, pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 1939, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix. La même vérité dite plaisamment ne l'est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Merle ou Le Canard enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 1939, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants. 
Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement en France l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance. 
Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque Français voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait gagnée, au sens profond du mot.
Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer dans vingt-cinq ans la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode encore toute nouvelle qui serait la justice et la générosité. Mais celles-ci ne s'expriment que dans des cœurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits."
[1]: Albert Camus était rédacteur en chef de ce journal publié à Alger

Cet article devait paraître le 25 novembre 1939 dans "Le Soir républicain". Il avait été censuré, et perdu. Il vient d'être retrouvé. Malgré les dates mentionnées, qui peut nier qu'il soit intemporel ? L'homme indépendant Camus s'attache à réveiller notre conscience sociale. Qu'il nous serve de repère


2012/01/07

Conscience du devenir : la crise écologique expliquée à ma fille

Mon aînée est en 6ème. Elle n'a jamais lu mes articles. Je ne lui en parlais pas parce que ce sont des sujets très difficiles à aborder avec des enfants. Il se trouve que sa leçon de géographie que je lui fais réviser cet après-midi commence exactement par ces mots :
Aujourd'hui plus de 50% de la population mondiale vit en ville. Le taux d'urbanisation continue d'augmenter.

 S'ensuit un court dialogue :
- Est-ce que tu sais depuis quand le taux d'urbanisation augmente ?
- Depuis que l'homme construit des villes, en Mésopotamie.
- Tu sais combien il y a d'humains sur la planète ?
- 7 milliards... Dis, c'est grave ? Ça veut dire que tout va exploser ? Qu'on va tous mourir parce qu'il y a trop de personnes ? Tout le monde sait qu'il n'y a bientôt plus de pétrole.
- Non ça ne se passe pas comme ça. Ça n'explose pas. Mais si on ne change rien du tout à notre façon de vivre, il y a des crises très graves, des maladies et la population diminue brutalement, par paliers successifs pendant 200 ans environ.
- Alors on va tous mourir ?
- Chacun doit mourir un jour, mais on mourra de ce problème seulement si on ne fait rien, si on ne change rien. Parce qu'on sait ce qu'il faudrait faire, le problème c'est de le faire collectivement, de changer.
- Mais personne ne fait rien ! Sauf toi qui fait des économies d'énergie...
- Je ne suis pas tout seul... et ça n'est pas seulement une question de pétrole. Tu sais j'écris des articles pour expliquer cela, qui sont lus par 30000 personnes au moins. C'est comme la moitié de la ville. 
- 30 000 comparés à 7 milliards... (un profond air triste passe sur son visage)
- Le monde ne change pas en un jour tu sais. Mais le monde change constamment... et tout changement commence au départ par une personne, une seule. L'important c'est de commencer, qu'il y en ait au moins une, et d'en parler aux autres. Et puis comme je te l'ai dit, je ne suis pas tout seul.

*
(un peu plus tard) 
- Dis-moi, est-ce que tu sais pourquoi je travaille autant sur mes articles ? Pourquoi j'essaie de faire quelque chose ?
- Non ?
- Parce qu'il y a plusieurs années, quand j'ai compris ce qui se passait, j'ai pensé qu'un jour tu me poserais exactement la question que tu m'as posée. Et je me suis dit que je ne pourrai jamais te regarder en face comme maintenant et te dire que je savais ce qui se passait et que je n'ai rien fait... ou bien me défiler lâchement en disant qu'on ne pouvait rien faire, pour toi, tes futurs enfants et les autres gens de ton âge, avec la fausse excuse que soi-disant "c'est très compliqué, tu sais". 


Et vous, qu'allez vous dire à votre enfant le jour où il vous posera la même question ?

*

L'année dernière j'ai croisé un monsieur de 65 ans environ, que je ne connaissais pas, avec qui j'ai parlé brièvement de cette crise écologique. Lui m'a répondu tranquillement et avec un sourire satisfait que c'est un problème qu'il faut laisser aux générations suivantes, qu'elles trouveraient bien une solution puisqu'elles l'avait toujours fait. Il ignorait bien sûr tout de ce qu'est une crise écologique, et ne voulait surtout pas savoir que la solution ne pouvait être qu'inter-générationnelle.
Hélas, il y a fort à parier que sa position soit très répandue parmi sa génération. Je me suis dit que je ne lutterai pas davantage pour préserver le montant de sa retraite. Son abandon flagrant des générations suivantes est une défaillance de sa propre responsabilité inter-générationnelle.
Il s'en faut de peu pour qu'elle soit considérée comme une trahison par les générations montantes.

2011/05/19

Conscience sociale et écologie


"En résumant à grands traits, faisant le constat phénoménologique qu'à travers sa façon d'évoluer le Vivant se complexifie et étend son champ relationnel. Je fais alors l'hypothèse que c'est une idée fixe, à échelle cosmique. Dans le cadre d'une évolution purement biologique on voit difficilement comment un oiseau pourrait apparaître, qui aurait les ailes assez grandes pour couvrir le paquet d'années lumières qui nous séparent de nos voisins immédiats. Le "tout bio", c'est pas la solution.
Donc il faut envisager une "solution technologique". Il faut qu'une espèce acquière la faculté de développer une technologie. D'où l'Homo herectus, l'homo faber, l'homo sapiens, l'homo nuclearis, etc.
Mais cette technologie présente des risques hypertéliques, de dépassement de finalité. Elle peut se retourner, de manière collatérale, comme on dit aujourd'hui, contre celui qui la manipule et ne comprend pas à quoi elle doit réellement servir : à fabriquer à terme des nefs pour aller voir les copains. Pour continuer l'extension du champ relationnel.
Il faut donc à l'homme, puisqu'il faut l'appeler par son nom, un attribut comportemental qui lui permette de réfléchir aux conséquences de ses actes.
C'est ce que nous appelons la conscience morale et à grande échelle l'écologie."
Jean-Pierre Petit, septembre 2010.

A l'échelle de l'individu, j'appelle cela la conscience sociale.

2011/04/01

Un schéma générationnel de l'engagement



Assez engagés dans l'infowar et la couverture des evenements en tunisie, les auteurs et gerants du site ReadWriteWeb France sont mis à la porte par la maison mere US, qui annule son contrat de licence aupres des filiales en europe (France et Espagne). Le gérant a 40 ans et part... en Tunisie. Pas aux USA bien sur. (A ce propos n'avez-vous pas remarqué dans votre entourage le nombre croissant de personnes qui reviennent des USA ces temps-ci, après s'y s'être pourtant installés depuis des années, et qui sont vraiment très soulagées d'être rentrées ? )

Le cheminement intellectuel de la génération est donc une fois de plus bien établi, et vous pourrez le constater de plus en plus souvent autour de vous : 
  • gout technophile pour les nouveaux médias et leurs objets-supports
  • appréciation croissance des medias sociaux 
  • éveil de la conscience sociale 
  • défense de leurs libertes numériques (militantisme anti LOPPSI / Hadopi / journée mondiale de la cyber censure etc) 
  • soutien aux activistes numériques (wikileaks etc)
  • éjection rapide du système social traditionnel par les décideurs vieillissants à la suite d'une crise 
  • plongée forcée dans l'activisme numérique et social 
  • croissance du modèle social alternatif par rétro-action positive
  • remplacement du système traditionnel par le système alternatif
C'est aussi imparable que le renouvellement naturel des générations. Lutter contre ne fait que renforcer le mouvement et accélérer la vitesse de transition quand elle se produit.
C'est simplement l'homme ramené à la nature : l'immobilisme n'existe tout simplement pas. Le présent n'existe pas non plus. Nous sommes à chaque seconde des êtres en devenir, nous nous transformons sans cesse, consciemment ou imperceptiblement. Ecoutez les podcasts des leçons de Anne FAGOT-LARGEAULT en 2007-2009 au collège de France sur l'Ontologie du Devenir, ou lisez ses cours. Ce que nous sommes en réalité, c'est un futur.

La "fin de l'histoire", les scénarios de prospectives tendancielles pendant des siècles, ce sont des naïves conceptions pour enfants, énoncés par leurs parents. Pour rentrer à l'age adulte de la conscience sociale, ces conceptions doivent nécessairement faire place à d'autres, plus réelles. C'est un des rôles méconnus de l'anticipation politique.

2009/09/28

Votez pour changer le monde


 Après une longue attente sans communication, Google a publié les idées retenues pour changer le monde parmi les 154.000 soumises, regroupées dans 16 idées centrales.


On dirait bien que la mienne fait partie de la short list... les libellés des "suggestions à l'origine d'une idée centrale" ont été simplifiés évidemment, mais je crois bien reconnaitre la mienne (lire sur la page de Google les "suggestions à l'origine de cette idée") !



Votez pour mon idée jusqu'au 8 Octobre, rubrique Communauté : "Create genocide monitoring and alert system"
:-)

Pour votre curiosité voilà le texte descriptif que j'avais soumis. La limitation en nombre de caractères a demandé un bon effort de synthèse !


"Human Peace Project :

Diminuer les conflits en offrant une transparence accrue sur les réels intérêts stratégiques, économiques et politiques des chefs d’état et des partis politiques
Le raisonnement est le suivant :
  • Des millions de personnes souffrent énormément des guerres : morts directes, destruction, maladie, disette, emprisonnement, tortures, enfants-soldats, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocides
  • Ces guerres et conflits peuvent naitre et se développer parce qu’ils sont favorisés par des puissances étrangères qui manipulent les chefs locaux, afin d’en tirer des avantages (accès aux ressources naturelles, position géostratégique, position de politique intérieure pour un leader qui apparaît comme étant un pacificateur)
  • Ces manipulations peuvent exister principalement parce que leurs ressorts et intérêts ne sont pas exposés en plein jour, aux yeux d’un maximum de personnes
  • La connaissance plus précise de ces conflits permet au citoyen du monde de prendre une décision rationnelle sur sa capacité d’agir. Au minimum, envoyer une lettre ou un e-mail (cf Amnesty International) a prouvé à de maintes reprises que cela pouvait déjà avoir un impact positif sur certaines détentions arbitraires.
Donc proposer un service d’accès gratuit qui expose de manière automatique (sans biais) les explications sous-jacentes à ces manipulations permettrait une prise de conscience rapide de la population (locale et internationale) et ainsi de diminuer sensiblement l’occurrence de conflits meurtriers.
Il s’agit de mettre en ligne un service automatisé qui aggrégerait Google News, Customized Search, Google Maps, Sites, Translate, Books, Scholar, Calendar, Images, Videos, Blogs, Groups mais entièrement spécialisés dans les thèmes suivants :
  • géographie du conflit (ethnies, topologie, populations, positions/territoires des protagonistes)
  • cultures locales (société, ethnographies, culture ancestrale)
  • historique (alliances, conflits passés, politique, interventions et soutiens étrangers, implications passées des services secrets, statistiques)
  • géostratégie : intérêts des différents protagonistes et influenceurs
  • commercial : circuits logistiques d’import/export des ressources naturelles alimentaires, et militaire
  • humanitaire : détails des implications des ONG, statistiques, besoins estimés
L’ensemble de l’humanité peut en bénéficier. Ceux qui subissent actuellement ces conflits, et ceux qui les subiront dans le futur. La crise financière mondiale va forcément avoir des répercussions sur les politiques intérieures et les alliances stratégiques, notamment à propos des Etats-Unis.
Il n’est pas possible de déterminer qui en bénéficierait le plus, entre une population qui voit un conflit existant diminuer ou une population plus grande qui évite l’apparition d’un conflit en son sein.
Etapes préliminaires :
  • Negocier les droits de reproduction numérique des livres et émissions traitant de ces questions (Rendez-vous avec X, le Dessous des Cartes...)
  • Traduire les émissions dans les différentes langues
  • Mettre en place un systeme collectif de notation / ranking des sites traitants de ces sujets
  • Se mettre en relation avec les ONG et universitaires pour mettre en ligne leurs documents traitant de ces questions (Amnesty International, Medecins du Monde, Action contre la Faim...)
  • Mettre en place le système manuel et collectif d’amelioration de la traduction automatique des documents (cf wikipedia et google translate)
  • Développer le mashup paramétrable (cf igoogle) aggrégeant les sources d’informations
En cas de succès de la diffusion du projet Human Peace, la transparence et la meilleure compréhension des vraies problématiques permettront d’apporter des vraies solutions, de résoudre des conflits endémiques, et d’éviter des embrasements causant des millions de morts.
Les dirigeants politiques, sachant que leur population partage le meme niveau d’informations qu’eux, n’auront plus d’avantage à dissimuler les informations. Le poids de la diplomatie sera renforcé puisque les diplomates seront directement responsables devant leur propre population de faire entendre les messages venant de cette source d’informations collective et ouverte."
Mise à jour le 5 Octobre 2010 : 
Les lauréats ont été (enfin!) annoncés. Dommage, j'etais dans les 16 finalistes mais pas dans les 5 idées sponsorisées. Preuve s'il en est que la prévention des génocides n'interesse pas la majorité (si Google s'est vraiment basé sur ce seul critère... ça manque de transparence). C'est en tout cas une limite bien claire de la prétendue toute-puissance portée par Google. Rien que pour ca, ca valait le coup d'être tenté !

2008/11/01

Prises de conscience

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Voici 2 exemples de prise de conscience.

Le premier, signé Paul Jorion, est lié à l’économie actuelle, et je l’appelle “L’Europe de l’Est s’éveille à la crise”.

Le deuxième est consacré au marché immobilier actuel. Je ne peux m’empêcher d’avoir quelques doutes sur la véracité pleine et entière du témoignage, mais la n’est pas la question. C’est la démarche décrite et le délai de la prise de conscience qui sont intéressants : “Il m’a fallu trois semaines –trois pleines semaines- pour réaliser pleinement la portée de vos réflexions sur l’achat immobilier” (scrollez tout en bas de la page).

Une prise de conscience, c’est comme un changement d’orbite : ça requiert du temps, une impulsion initiale, de l’énergie entretenue, et l’état d’arrivée est sensiblement différent de l’initial.
Dave Droar résume très bien l’origine de cet état pensé de conscience, par opposition à un état passif :
This is an inevitable consequence of consciousness. A being with a mind, conscious of itself and its existence, experiencing a reality, needs to organise the data that it receives from its senses. Simply observing and recording does not allow for consciousness. It is what we do with that information that allows us to think. In order to process and store the vast amount of information received, the human brain attempts to identify patterns in the data; looking for the patterns behind what is experienced. This is asking questions of the sensory information, and requires reasoning. By definition a conscious mind seeks to know. Knowing something requires more than just data, but intelligence or reasoning applied to that data. To attempt to obtain knowledge we must therefore question the data our mind receives; thus, consciousness questions.

2008/08/24

L’affaire Dominici ou la politique de l’occultation


 Tel aurait pu être le titre du dernier ouvrage à propos du tragique triple meurtre du mardi 5 Aout 1952, à Lurs. Cette affaire exceptionnelle m’est suffisament proche (et je ne parle pas seulement en kilomètres) pour que je me sois intéressé aux 732 pages rédigées par Eric Guerrier. Bien m’en a pris, car son livre rétablit avec une grande rigueur un très grand nombre de faits vérifiables, sans aucun parti-pris préconçu. J’ai tout particulièrement apprécié sa méthode consistant en définitive à séparer les faits et les protagonistes en 3 phases successives.

La première pour le meurtre des deux parents Drummond; la deuxième pour le meurtre d’Elizabeth Drummond, agée de 10 ans, évanouïe puis mortellement frappée de 2 terribles coups de crosse, de sang-froid. Et la troisième pour la phase publique, celle d’une étonnante enquête judiciaire, et de procès non moins déroutants.

A chaque phase, ce sont de nouvelles complicités, de nouvelles responsabilités, de nouvelles compromissions et de nouvelles culpabilités qui peuvent être sondées séparément, bien que tout l’édifice logique reste articulé et cohérent. Du tragique fait divers à l’affaire d’Etat, Eric Guerrier nous livre de précieuses informations sur les ressorts qui animent une société toute entière. Il n’est pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre, et cette affaire est aussi une occasion historique de jauger une société à l’aune d’une victime innocente.

 Quelles que soient vos convictions actuelles sur cette affaire, vous pouvez la soumettre à l’épreuve des faits patiemment reconstruits par Eric Guerrier, à la suite de la longue bibliographie qui existe déjà. Il réussit à aller beaucoup plus loin et beaucoup plus en profondeur sur tous les plans de cette “énigme” judiciaire que les ouvrages précédents sur toutes les thèses envisagées, dont il montre le possible intérêt mais aussi les limites ou les contradictions. J’ai ainsi pu retrouver avec encore plus de détails historiques la trace de la piste Bartkowski et la double vie de Jack Drummond dans le contexte politique de la guerre froide et de la IVème République, ou suivre l’hypothèse inquiétante du rôle de Roger “Zézé” Perrin ou de Gustave Dominici. Nous y retrouvons également beaucoup d’éléments relatés lors d’un “Rendez-Vous avec X” sur France Inter le 22 mai 1999 pour la première diffusion.
Détail à l’attention de Eric Guerrier : la personne non nommée qui a remarqué la première la présence du pantalon de Gustave séchant derrière les volets de sa chambre le matin du 5, est le docteur Dragon d’Oraison.

Références du livre d’Eric Guerrier : 
L’affaire Dominici – Expertise du triple crime de Lurs
Edition Cheminements, 2007
A la mémoire d’Elizabeth Drummond.

Existent encore aujourd’hui :

  • la base de l’ancien pilône EDF du Km 32, lieu du rendez-vous fatal fixé à la famille Drummond;

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  • le mas de la Grand’Terre vu de la borne du km 32, de l'autre côté de la route. Le départ du chemin à gauche mène vers le petit pont.

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Ont complètement disparu suite à l’élargissement de la RN et à la croissance de la végétation : le murier; le puisard; la majeure partie de la zone de stationnement, lieu des deux premiers crimes.

  • photographié à partir de la route, le petit pont enjambant la voie de chemin de fer avant le virage, avec la Durance en arrière plan;

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La croix commémorative de l’autre côté du pont, située à 15 m environ du lieu du meurtre d’Elizabeth, est encore régulièrement fleurie et décorée, comme en ce lendemain du mardi 5 Août 2008. Le lieu précis du meurtre d'Elizabeth n’existe plus depuis les travaux de l’autoroute sur le remblai du km 91 de l’A51.  

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Je suis passé devant la maison où vit aujourd’hui Yvette Barth (la femme de Gustave Dominici au moment des faits), à quelques petits km du lieu du drame. C’est l’une des 3 ou 4 dernières personnes vivantes qui pourraient raconter avant de disparaître la vérité sur les circonstances exactes entourant la mort d’Elizabeth : que s’est-il passé entre le moment des coups de feu et 4h du matin sur le lieu du crime et à Grand Terre; quelles personnes ont décidé qu'il fallait tuer une enfant de 10 ans blessée et évanouïe; qui lui a porté les coups fatals avec la crosse de la vieille carabine US M1.

Les mobiles de cette dernière mise à mort sont désormais bien connus, le cercle des responsabilités est très resserré, mais pour que le souvenir d’Elizabeth ne nous hante plus, les derniers éléments entourant ces questions devront enfin être portés à la connaissance de tous. Notre conscience sociale le réclame, car sa mort est un des signes indubitables qui prouve que quelque chose d’essentiel a été oublié par les protagonistes à un moment donné. C’est cette part d’humanité qu’intimement ou inconsciemment nous voulons retrouver. L’espoir de ce genre de quête c’est qu’elle ne soit pas définitivement perdue, car nous resterions chacun des amputés.